Joueur online de 28 ans, David Borrat est particulièrement performant en Sit and Go Short handed et Heads up. Ce semi joueur pro ingénieur de formation, (développement en logiciel militaire) se concentre donc essentiellement au poker en ligne. C’est en arpentant ses rooms favorites : Pokerstars, Everest, Bwin et consorts sur ses deux LED 23 pouces, qu’il est devenu le shark d’aujourd’hui. Alors que vient de sortir son premier livre Poker Edge, c’est au travers d’un esprit rationnel qui caractérise souvent les joueurs online, d’une bonne dose d’humour et de pertinence que nous avons découvert l’auteur de cet ouvrage.
La parole est au SHARK, rangez vos souris…
Tu joues contre David Borrat, comment l’analyses- tu ?
Option 1 : Rugged. Je sit-out :p
Option 2 : En début de partie je pense que c’est un joueur serré et prudent que je vais pouvoir exploiter. Ensuite je trouve qu’il se met à gagner un peu trop de coups sans showdown et aime un peu trop les boutons « bet » et « raise ». J’adapte donc mon jeu et commence à resteal, floater, représenter plus tard dans les coups pour le laisser bluffer, le payer light, le min-raise etc. Il va devoir comprendre que le patron ici, c’est moi ;). Jusqu’à ce que je ne crois pas à son brelan, sa couleur max, sa quinte ventrale et ses overbets. Sa fréquence de mises me saute aux yeux et j’ai tendance à jouer plus agressif que lui ou surestimer une cote implicite qu’il me donne. Puis je l’observe mieux lorsque je suis spectateur et cherche moins la confrontation. Après réflexion, je me dis que finalement, il ne doit pas être si mauvais que ça.
Si je suis en forme et attentif, je le trouverais parfois trop aggro, parfois trop loose, parfois trop curieux ou étonnamment passif dans certains coups (on apprend en se regardant décidemment). J’essayerai d’exploiter ces tendances sans me tromper puisqu’il est capable de faire des erreurs. Le tout étant de se tromper le moins possible. Car les marges sont réduites lorsque l’on cherche ce genre d’opposition. Pas le dernier pour la déconnade, j’aurais aussi presque envie de m’en faire un ami. Si je jouais contre moi-même, il y aurait de toute façon la variance et du rake :). Quand deux joueurs « potables » et actifs s’étudient et se rendent coup pour coup, il ya forcément de la casse.
Pourquoi le poker online ?
Tout simplement parce qu’à mes débuts et autour de chez moi, les occasions de faire du live lucratif étaient rares. Du live règlementé, inexistantes. Sans doute aussi parce même aujourd’hui, la démarche d’aller régulièrement dans un établissement de jeu me refroidit un peu. Je subis certainement une pression invisible, héritage de notre société qui veut que jouer de l’argent est mal. Le poker en ligne permet ne pas avoir à planifier, ne pas prendre la voiture, cibler ses opposants et ne pas avoir à entendre des absurdités toute la soirée. Même si je suis certain que la confrontation live est la quintessence de ce jeu et qu’un bon joueur a un edge supérieur en exploitant beaucoup plus ses adversaires qu’il ne peut le faire online.
Par ailleurs, s’aménager du temps de jeu en ligne permet de concilier poker, vie amoureuse et sociale avec une plus grande souplesse. Ma compagne verrait par exemple d’un très mauvais œil que je rentre tous les soirs à 4h du mat. Surtout si je ne reviens pas les poches pleines à tous les coups…
Enfin, pour jouer en beaucoup moins de temps beaucoup plus de mains et de tables, en choisissant mes parties confortablement installé. Le live reste un investissement de temps considérable (certains sacrifices personnels) et une variance plus longue à lisser dans le temps. C’est sans doute un tort que de ne jamais m’y être consacré. Je ne l’exclue pas mais ayant d’autres activités, je ne n’envisage actuellement pas d’être régulier en live. Lorsque je le sentirais et aurais plus de temps, je m’attaquerais cependant à de beaux tournois du circuit. Mais je suis patient et tout vient à point. Je vois beaucoup trop de joueurs moyens, préférer se payer un gros buy-in de temps en temps que de prendre leur temps, devenir réguliers et progresser en ligne en gagnant, même un peu. Ils rêvent de grande victoire tout de suite et adoptent donc des attitudes perdantes. J’ai suffisamment fait de sacrifices et pris de risques à mes débuts pour être aujourd’hui patient. Je préfère un « tu l’as » que deux « tu l’auras ». Je joue pour gagner et progresser, plus trop pour rêver.
Ta première perf ?
Ce n’est pas vraiment une perf mais si on parle bien de ma première « victoire », je m’en souviens très bien. Il s’agit d’un 25$ sur une room de fishs en 3D à 172 joueurs en full ring. Mon premier gain à 4 chiffres. Je dois encore avoir les screenshots sur un disque dur et me souvient avoir eu les as en HU. Ce qui ne s’invente pas est que j’avais lu Poker Harrington 1 la veille. J’y ai vu autre chose que du hasard et pense depuis que lire des bouquins et travailler son jeu en dehors des tables est bénéfique. Même si rien ne remplace l’expérience et qu’aucun livre ne fabriquera de champions. Mais soyons lucides sur mes débuts, je ne savais vraiment pas jouer. D’ailleurs, avec tant d’ignorance c’était clairement du suicide pour mon argent. Ce que tout débutant doit avoir à l’esprit bien sûr. Il faut comprendre très vite qu’il y a énormément de choses à apprendre pour sortir d’un B.A-BA game et de stéréotypes vus au premier degré à la TV.
Une des choses que j’ai voulu transmettre en introduction de Poker Edge est une partie de cette expérience. Ignorer ou négliger son ignorance à ce jeu est dangereux. Les grandes qualités qu’un joueur doit avoir au début sont donc conscience et lucidité. Un pré-requis pour s’éveiller au reste en somme. Les résultats viennent ensuite avec le travail, le self-control, l’obstination, et le développement de qualités qui ont l’avantage d’être réutilisables dans la vie (observation, courage, empathie…). Bref, avant d’être gagnant j’ai d’abord essuyé les plâtres de mon ignorance. C’est un parcours initiatique obligatoire semble-t-il lorsque l’on n’est pas un génie du jeu.
La prochaine ?
Sans doute dans les prochains jours, sur un deep stack quelconque. Certainement en short handed pour un buy-in compris entre 20 et 100€. C’est une bête question de probas puisque ce sont les MTT que je joue le plus fréquemment. L’EPT on verra plus tard ;)
Nostalgique du .com ?
Un peu oui. Surtout de Ongame où j’ai fait mes débuts. J’ai vécu le cloisonnement comme un pêcheur breton subit les restrictions de certaines pêches. L’action était alors possible à toute heure. Aujourd’hui, c’est impossible de manière légale. Il faut beaucoup plus attendre le « client » et s’adapter à ses horaires. J’aimais également avoir une BR en dollars et pouvoir jouer sur les taux de change. Gagner de l’argent sans rien faire m’a toujours fasciné.
Par rapport à l’argent, j’avais également une certaine insouciance à l’époque. Aujourd’hui, le joueur dont c’est l’activité principale (note pour le FISC : ce n’est pas mon cas. D’ailleurs, je suis perdant…) ne sait même pas s’il devrait craindre à l’avenir pour le moindre centime gagné. En .com, il était également possible d’exploiter quelques tendances géographiques ou de tomber sur de gros flambeurs. Mais ce qui me manque le plus, c’est de me faire insulter dans toutes les langues. Le « va niqué ta mer » devient surfait ;)
La chanson qui représente le mieux ta personnalité ?
La question est difficile mais ce qui me passe par la tête en ce moment : « Free Bird », de Lynyrd Skynyrd.
Ton souvenir le plus marquant au poker ?
Je ne suis plus très émotif vis-à vis de ce qui peut m’arriver à une table ou même dans une session. Ces souvenirs remontent donc à mes débuts où il m’arrivait d’avoir les jambes qui tremblent dans un gros coup. Et ce jour là elles ont tremblé. Il s’agit de mon premier « gros » tilt en CG.
A l’époque, j’avais du mettre des semaines (voir des mois) à monter une BR correcte en SNG. Pour voir si je pouvais accélérer le mouvement, j’ai testé trop rapidement une montée de limites en cash-game (là où les grands faisaient l’argent). J’étais performant en heads-up, mais mes possibilités de multitabler étaient limitées (on n’est pas tous Tom Dwan…). J’ai donc commencé à alterner FR et SH. Ca ne se passait pas trop mal jusqu’en NL400 (illusion de débutant sur quelques sessions de chatard). Jusqu’à ce que je décide de me caver max sur 6 tables (NL 400 et NL 1000) avec environ 10K de BR et pratiquement aucune expérience du cash game (et en définitive du hold’em). J’étais chaud comme un « filet-O-fish » et pensais largement pouvoir doubler tout ça en une journée. Sans rentrer dans le détail, je me suis mis à tilter sévère après la perte de quelques coups. Je ne sais plus si j’ai été si malchanceux que ça mais je me suis crashé en 30 minutes chrono. Un des pires moments de ma vie. In any case, c’était 100% de ma faute. Mon PC portable a failli passer le mur du son départ arrêté et mon canapé se souvient d’avoir été boxé copieusement. J’avais perdu la presque totalité d’une bankroll gagnée à la sueur de mon front, sans même comprendre ce qui m’arrivait. Je m’en souviens comme un de ces moments où il est possible de se dire « plus jamais » ou « j’arrête ce jeu ». J’ai du arrêter quelques semaines ; le temps d’oublier un peu que j’allais devoir « grinder » sévère pour réparer mes erreurs. On ne m’y a jamais repris…
Si tu pouvais refaire ta vie professionnelle ?
Si tu me propose un voyage dans le temps avec mes connaissances d’aujourd’hui, je prends un aller pour Vegas. Ou j’irais courir les Business Angels pour monter Facebook avant Mark Z.
Ce qui te fait détester le poker, ce qui te fais l’adorer.
Détester :
Un call improbable.
Un mauvais read.
Les bad beats en toute fin de tournoi.
L’investissement en temps.
Le fait que ce soit sans fin et que même le meilleur joueur au monde ne puisse jamais être certain de gagner sur une session ou un tournoi.
L’adorer :
Le fait qu’il n’y ait pas de limites atteignables dans l’exploration de ce jeu.
Le fait que chaque tournoi a un vainqueur et que ça peut être moi.
Anticiper et que ça fonctionne.
La victoire bien sûr.
Tu pars en voyage et tu peux emmener trois personnalités du poker avec toi : lesquelles choisis-tu ?
Vanessa Rousso
Liv Boeree
Shannon Elizabeth
Vraiment au hasard… parce que Negreanu et Dwan ne me font pas trop rêver en maillot de bain, et que Phil Hellmuth doit être tiltant au beach volley comme à la pétanque.
On se prend trop au sérieux au poker ?
Euphémisme, même s’il y a des joueurs humbles, censés et très sympas avec qui il est agréable et enrichissant de discuter. Beaucoup de joueurs croient savoir jouer et surtout tout savoir en toute situation. Même quand il y a des blancs grossiers dans l’énoncé du problème ou que leur raisonnement est irrationnel ou faux sur des bases pourtant essentielles. Il est également toujours de bon ton de masquer ses pertes, d’amplifier ses gains. C’est un jeu d’autruches, de menteurs et d’égo pour la plupart des amateurs. C’est fou les énormités que l’on peut entendre à table ou en dehors sur ce jeu. Avant, ça m’énervait. Aujourd’hui, je suis capable de m’en foutre et de sourire. Après tu demandes ça à un mec qui a eu la prétention d’écrire un livre dans une discipline où il n’est pas le meilleur. Certains diront que le mec est mal placé question égo ;).
Comment joues-tu JJ preflop et postflop ?
Les valets je les préfère suited :) Blague à part, la seule réponse à donner est « ça dépend… ». En fonction de la situation (type de partie, contexte, profondeur, position, joueurs et stacks à parler derrière, mon image…) et de mes adversaires ; je peux ouvrir, payer seulement pour un baby flop ou un brelan si je ne suis pas premier à ouvrir, mais également 3bet, 4 bet, 5bet, 6bet, planifier un New York back-raise si un joueur est capable de squeezer avec any 2… Tout est possible en NLHE du moment que c’est réfléchi et planifié. Je pourrais les jouer pour améliorer seulement dans certaines situations, mais la plupart du temps je veux représenter tous les jeux qui peuvent effrayer mes adversaires lorsque c’est cohérent avec mes actions (et que le vilain saura jeter une paire). Avec JJ, il faut de toute façon avoir un plan adapté à la situation et à sa table. Mais pas plus qu’avec une autre main. Et puis ceux qui veulent une vraie réponse pourront lire comment aborder chaque type de main dans Poker Edge…
Comment le poker en ligne va-t-il évoluer selon toi ?
Puisque l’on est dans les questions qui tuent je dirais que le poker mourra. D’ailleurs, ce n’est pas la fin du monde le 21 décembre ? (rire). Mais il semble que le poker s’essouffle un peu. Le niveau s’harmonise et la consanguinité du .fr freine les limites qu’un bon joueur peut atteindre s’il ne s’expatrie pas. De plus en plus de joueurs ont conscience que « le poker est certainement la façon la plus difficile de faire l’argent facile ». Il faudrait que le poker se renouvelle, notamment avec l’aide des médias, des générations à venir et de compétitions toujours plus attractives. Car s’il ne reste un jour que les meilleurs, il va y avoir de la casse. Les requins ne mangent pas du requin et tout le monde ne peut pas gagner. Et pour parler de la France, il faudrait que la législation éclaircisse le statut de joueur de poker professionnel avec une règle claire et unique. Que l’on continue à promouvoir ce jeu tout en informant sur sa réalité et les risques que ça comporte comporte. Au pays du principe de précaution, il serait dommage que le poker pâtisse d’une mauvaise réputation. Certains diront que le poker ne produit rien, engendre parfois de la détresse, que jouer en autarcie est économiquement vain, que c’est un business malsain… Faire ces raccourcis serait dommage, car le poker peut faire grandir un homme. Comme toute discipline nécessitant réflexion, empathie et un gros travail sur soi.
Dans l’antiquité, le peuple voulait du pain et des jeux. Cela n’a pas changé. Le poker est une passion qui rapproche les hommes, en fait manger certains et rêver les autres. Il est adapté au monde d’aujourd’hui. Poker dans 20 ans ou non, on est loin de l’agonie encore. Je ne pense pas me tromper en disant qu’il y aura toujours des jeux d’argent (ou d’unités de valeur). Et toujours quelques joueurs pour faire vivre le Texas No Limit.